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vendredi 26 octobre 2012

Bab El Oued - Les raisons de la catastrophe II

En mission humanitaire à Bab El Oued depuis le 14 novembre dernier, Dominique Laplace, un des experts de l'équipe de la Marseillaise des eaux, qui a fait le déplacement à Alger, s'exprime dans cet entretien accordé, avant son départ en France, à notre journal sur la catastrophe et les solutions à envisager pour parer à d'autres éventualités. Il est question, selon lui, de construire un bassin à Triolet pour retenir l'eau et des exutoires en sous-sol vers la mer pour éviter à l'avenir que le boulevard Abderrahmane-Mira soit noyé.

Le Matin : Vous êtes présent à Bab El Oued depuis le 14 novembre dernier ; quel est le diagnostic que vous faites de ce déluge qui s'est abattu sur Bab El Oued ?

Dominique Laplace : Après le déluge qui s'est abattu sur Bab El Oued, il y a eu des torrents d'eau et de boue qui se sont déversés sur ce quartier et qui ont envahi les rues, les maisons et les réseaux d'assainissement. Il a fallu donc qu'on travaille pour nettoyer ces réseaux de façon qu'ils puissent évacuer toutes ces eaux. On a travaillé alors en deux temps : on a évacué tout d'abord la boue qui se trouvait dans les voiries et les réseaux pluviaux, puis on a procédé au pompage dans toutes les caves qui étaient pleines d'eau. On a accompli ce travail pendant une dizaine de jours. Notre action s'est étendue du boulevard Abderrahmane-Mira jusqu'à Triolet, c'est-à-dire on a couvert l'ensemble de Bab El Oued.

L'ampleur des dégâts est-elle due uniquement à l'abondance des chutes de pluie ?

C'était un orage plus important, puisqu'il était de l'ordre de 200 mm en 24 h. Ce qui n'a pas été enregistré depuis 1936. Il y a des statistiques pluviométriques qui font état de l'importance des quantités d'eau qui se sont abattues sur Bab El Oued. C'est-à-dire il faut partir du principe que si elles sont tombées aujourd'hui, elles retomberont demain. Et prendre en compte que ces quantités importantes d'eau ne peuvent être évacuées par un réseau d'assainissement. Quand on calcule un réseau d'assainissement, rien ne justifie économiquement de faire des tuyaux aussi gros pour évacuer ce genre d'épisodes pluvieux. Cela nécessite donc de mettre en place des techniques qu'on appelle des bassins à rétention. Autrement dit, on fait des embranchements dans le fond du vallon et on essaye de retenir l'eau à la source. On va travailler dans ce sens et proposer ce genre de solutions pour éviter que Bab El Oued soit inondé encore une fois.

Pourquoi particulièrement Bab El Oued ?

C'était prévisible. C'est vrai que la configuration de Bab El Oued présentait déjà une vulnérabilité à ce " genre de catastrophe. Bab El Oued signifie d'ailleurs les portes d'el oued. C'est vrai aussi que l'urbanisation a gagné tout le lit de l'oued. Il était imprudent de laisser cette construction se développer entre Triolet et la mer.

Votre équipe a inspecté l'effondrement du grand collecteur d'eau du oued M'kacel, dans la zone de Frais Vallon. Comment expliquez-vous ce phénomène qui a provoqué un cratère de plus de 10 m de diamètre ?

Oui tout à fait, on a fait venir deux spécialistes, des experts de la Société des grands travaux de Marseille pour expertiser ce cratère. Que s'est-il passé ? Les eaux, se sont engouffrées dans ce collecteur et ont creusé un trou sur le bord de ce dernier. Il y a eu par la suite l'effondrement du terrain. Puis les eaux se sont engouffrées par le trou dans le collecteur, ce qui a créé un siphon similaire à celui d'un mouvement de tourbillon lorsqu'on vide un lavabo. Il reste aujourd'hui un cratère de plus de 10 m de diamètre qui est tout à fait circulaire. Au fond de ce cratère, il y a le collecteur d'eau qui est aujourd'hui envasé. On a évoqué des solutions vraiment techniques pour pouvoir mettre le plus rapidement possible ce collecteur en service.

Y a-t-il des moyens pour la réalisation de ce projet ?

Absolument, la technique a été évoquée. Nous allons faire un rapport rapidement et d'ici la fin de la semaine on le remettra aux autorités, notamment à la demande du secrétaire général du ministère des Ressources en eau.

Quelles sont les études que vous avez faites jusqu'à présent ?

On a réalisé à ce jour deux rapports : le premier est un prérapport sur l'événement pluvieux et sur les aménagements préconisés, tandis que le second est du domaine technique se rapportant au collecteur de Frais Vallon.

Les conséquences n'ont-elles pas été exacerbées par le fait d'une urbanisation anarchique et de non-respect des normes d'aménagement ?

Vous avez raison. Ces dernières années, il y a eu une urbanisation qui était difficilement maîtrisée compte tenu de l'exode rural massif. Les conséquences : on a assisté à un déboisement. Je n'ai pas vu avant le bassin, mais ce qui est apparent aujourd'hui est que l'ensemble des sols sont déboisés et que, par conséquent, rien ne retient la terre. Ce qui fait que lorsqu'on est en présence d'un déluge, l'eau amène des quantités phénoménales de terre sur l'axe de Triolet jusqu'à la mer.

Il existe en France des structures de prévention des risques de catastrophes. Est-il important de se doter de ce type de structures ?

Effectivement, il existe en France depuis les épisodes catastrophiques que nous avons connus au début des années 90 des structures qui établissent des PPR (Plans de prévention des risques). Ces mêmes structures réglementent les permis de construire. Cela fait partie des pistes qu'on va conseiller aux autorités algériennes de façon que ces aspects soient pris en compte à l'avenir.

Quelle est la solution pour éviter d'autres catastrophes à Bab El Oued ?

La solution ? En fait, il n'y en _a pas une seule, ce sont plusieurs solutions qui concourront à ce qu'il n'y ait plus de problèmes. La solution administrative, il faut tout d'abord exproprier les gens qui habitent les sites les plus vulnérables parce qu'il n'est pas normal qu'ils restent sur le lit d'un oued. Il faudra par la suite réglementer et contrôler la construction de ceux qui bénéficient du permis de construire. Et après, les solutions seront d'ordre technique. On évoquera l'alerte de la population en fonction des prévisions météorologiques et si on fait dans la prévision des catastrophes, on pourra prendre l'exemple de ce que fait Météo-France. Celle-ci établit des cotes d'alerte selon le niveau de gravité des prévisions. Dans ce genre de cotes, on fait la relation entre les chutes de pluies et ses conséquences. C'est une manière d'attirer l'attention de la population sur le danger.

Pensez-vous que si les prévisions avaient été prises au sérieux, aurait-on pu limiter l'ampleur des dégâts ?

Il est sûr que si la population avait été prévenue à temps, on aurait pu dire aux gens d'évacuer le bas et monter aux étages, et la circulation aurait été fermée aux automobilistes. Il n'y a pas de sécurité dans une voiture qui flotte facilement sur l'eau. Après avoir évoqué les solutions administratives et celles ayant trait à l'alerte, on évoquera les aspects techniques qui consistent à essayer de retenir l'eau en amont. On peut également faire des bassins de cumul d'eau en aménageant un terrain de foot au fond sur le site de Triolet et une digue pour retenir l'eau. Il faudra certainement aménager un exutoire très important au niveau de la mer de façon que le boulevard Abderrahmane-Mira ne se remplisse pas d'eau. Le problème est qu'il y avait une digue au fond de la mer, mais l'eau est passée par-dessus de la digue pour s'évacuer dans la mer. Il aurait fallu qu'il y ait des exutoires au niveau du sol. Cela impose de mettre en place des clapets antiretour, un système qui empêchera la remontée de l'eau de mer, qui, de retour, pourra noyer le boulevard Abderrahmane-Mira. Vous voyez qu'il n'y a pas une solution unique, c'est un ensemble de solutions qui ne passera pas systématiquement par la sur-dimension des tuyaux. Une telle solution coûtera beaucoup plus cher. Car le problème relève de tout l’aménagement urbain.

C'était un désastre ...

C'est un désastre. Je me mets à la place de cette population qui, jusqu'à un certain moment, considérait la pluie comme un don de Dieu. Il paraît que les gens ont prié avant la catastrophe pour avoir la pluie et aujourd'hui ils voient la pluie avec un sentiment de terreur. C'est la raison pour laquelle des aménagements visibles de l'extérieur sont à même de rassurer les populations. Si on met des tuyaux qui sont enterres, la population ne se rend pas compte de cette sécurisation. Mais les bassins sont visibles et sécurisants.

Entretien réalisé par Youcef Rezzoug
Le Matin N2972 jeudi 29 novembre 2001


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