Dans le cadre de la réflexion sur le Grand projet urbain, l'administration de la wilaya d'Alger a reçu M. Michel Cantal Dupart, urbaniste architecte bien connu pour avoir pris part à de nombreux aménagements des villes : la Rochelle, Perpignan, Pau ..., la Médina de Tunis, Gafsa, le projet Carthage - Tunis. Il a également animé le programme " Banlieues 89 ". M. Michel Cantal Dupart a été de 1983 à 1986 chargé de mission auprès du Premier ministre français pour les dossiers de la Ville. M. Dupart a surtout acquis une renommée internationale pour être un expert des villes portuaires sur le double plan architectural et urbanistique. Lors de son voyage à Alger (du 18 au 21/12/96), M. Dupart a bien voulu répondre à nos questions.
Liberté : Expert auprès de l'Association des villes portuaires, vous avez publié un ouvrage sur la relation port-ville. Quelle place donnez-vous au port dans la vie d'une ville ? Comment organiser les relations et les rapports entre la ville et le port ?
M. Cantal Dupart : Il n'y a pas de port sans ville et l'on peut dire qu'ils sont étroitement liés.
Combien de villes-ports de par le monde ont des soucis économiques, tout simplement parce qu'elles ont éloigné leur port, oubliant que c'était leur raison d'être.
Le cas d'Alger est exemplaire d'une ville qui trouve son origine dans une activité maritime, qui a non-seulement gardé son port au coeur de la ville mais plus, grâce à sa géographie et par un jeu de terrasses et de voûtes, a créé autant de balcons qui permettent de contempler la mer et le mouvement du port. Pour mieux organiser les relations entre la ville et le port, il faut que ce dernier s'ouvre aux Algérois dans la mesure où son activité économique n'en souffre pas, c'est-à-dire permettre de temps en temps un accès aux quais. La création d'un port de pêche et d'un port de plaisance auprès de l'Amirauté, doit être un premier pas dans ce sens.
L'embellissement des infrastructures portuaires, grilles, grues, quais devrait, comme cela a été fait à Anvers, améliorer l'image de la capitale portuaire de l'Algérie. Enfin, les banlieues routières et ferroviaires devront être atténuées.
La réalisation d'un projet au niveau des cités nécessite la collaboration étroite des habitants.
Vous avez dirigé la mission : " Banlieues 89 " et vous avez ouvert de nouvelles voies de travail dans l'aménagement de grands ensembles urbains. Partant de votre expérience quelle approche adoptez-vous pour l'aménagement des cités que vous avez visitées à Alger ".
Il est prétentieux d'avoir un avis général sur les cités que j'ai visitées à Alger, tout simplement parce que chacune a sa personnalité, que telle façon de faire ici doit être autre ailleurs et les comprendre demande du temps et du travail.
Pourtant, partant de mon expérience, on peut établir des constantes, bases de tout travail sur les grands ensembles. En priorité, ils doivent être réintroduits dans un plan d'aménagement général. Un plan d'urbanisme qui prenne en compte les échanges interquartiers sous l'aspect physique, telle la voirie, mais aussi les aspects économique et culturel. L'échange est la base de toute appartenance à la cité. Des équipes d'accompagnement social doivent être en mesure d'aider les quartiers à se développer, ces équipes pluridisciplinaires pourront être en mesure d'analyser l'ensemble des problèmes qui se posent et d'y apporter des solutions en collaboration étroite avec les habitants. Cette dernière condition est d'importance puisque c'est la seule méthode d'appropriation d'un projet, les chances de son efficacité et surtout l'assurance de sa durée.
Le GPU est la chance d'Alger pour éviter l'enlisement économique dans les décennies à venir.
Vous avez pris connaissance du Grand projet urbain d'Alger. Quels sont vos opinions sur le projet et votre avis sur l'approche générale ?
Alger fait l'objet d'un Grand projet urbain qui se met en place. L'imagination est nécessaire au grand dessin. Tous les services publics, les bureaux d'études privés sont mobilisés pour proposer des projets d'aménagement. Pour le Centre, pour la périphérie, des propositions multiples sont rassemblées dans le concours et commandes. Participant au projet, la création de cellule de proximité sont les fondations nécessaires à l'aboutissement des projets, mobiliser des hommes pour mettre en oeuvre.
Mais on ne peut faire l'économie d'un schéma de cohérence qui définisse les priorités, le coût et les phases de réalisation, l'harmonie des projets entre eux de telle façon que l'ensemble de l'agglomération apparaisse solidaire, atténuant ainsi les exclusions.
Que de l'aménagement des voûtes aux jardins de pied d'immeubles des cités, de la restructuration du port à l'aménagement d'un boulevard à la Nouba, de la préservation de La Casbah ou d'un site archéologique à la construction d'un tramway pour tous les citadins, il doit être évident qu'il s'agit de l'amélioration de leur cadre de vie, que s'élabore une image de la ville dont chacun peut être fier, Au-delà des mots, ces buts restent durs à atteindre, ne serait-ce que parce qu'il faut du temps et que pour répondre à l'impatience il faut trouver les moyens de préfigurer l'objectif. Ce défi est celui de toutes les agglomérations européennes, particulièrement des capitales. Un Grand projet urbain est un moyen d'éviter l'enlisement économique qui appartient aux villes incapables de mettre en activité les habitants qui s'y agglomèrent.
Comme beaucoup d'urbanistes, j'aime la ville d'Alger et j'aime bien aujourd'hui la façon dont elle aborde le projet urbain.
Le Grand projet urbain a pour ambition de rendre Alger, grande ville de services. Ainsi qu'un grand pôle économique, son histoire plaide pour ce rôle, il n'y a plus qu'à relever le génie urbain qui rendra Alger ville éternelle comme New York ou Venise dont leur histoire respective est intimement liée à la mer.
Le Grand projet urbain a pour ambition de moderniser Alger et d'en faire une métropole internationale. Quelles fonctions doit-elle privilégier pour cela et quelle place doit-elle tenir dans le Bassin méditerranéen ?
En comparant les villes-ports du pourtour méditerranéen, Alger, est la cinquième par l'importance humaine après Istanbul et Athènes (03 millions d'habitants), Rome (2,8 millions) et Alexandrie (2,6 millions).
Quatre capitales de pays méditerranéens sont villes-portuaires Athènes, Rome, Tunis et Alger. Cette dernière est la seule qui soit réellement littorale, les autres sont tenues d'avoir une ville parallèle pour toucher un plus grand tirant d'eau respectivement Le Pirée, Ostie et La Goulette. Il est à remarquer que toutes les villes nommées sont de grandes villes séculaires qui valorisent leur histoire autant que leur économie. En ce sens elles sont autant capitales de leurs pays que villes d'une culture partagée sur le pourtour méditerranéen et, au-delà, du reste du monde.
Alger ne valorise pas assez son histoire de ville et de capitale portuaires. Les villes littorales telles Barcelone ou Gênes font beaucoup pour être les phares de cette Méditerranée de l'Ouest. A l'Est, Alexandrie appuyée sur le Nil et Le Caire, reconstruit le mythe du phare. Autant d'actions à des fins touristiques qui valorisent une économie nécessaire à toute capitale. Ce développement ne peut se limiter à une capacité hôtelière fonctionnelle. Il reste à révéler le génie urbain qui rend les villes éternelles, de ces villes qu'on reconnaît parce qu'elles collent à l'imaginaire qu'on en a : New York, Naples, Venise, ... Alger mérite ce titre.
Elle n'a pas à privilégier telle ou telle fonction, elle doit être capitale dans chacune. Grande ville de services, elle le doit par son statut administratif. Grand pôle économique, son histoire plaide pour ce rôle qui doit s'équilibrer dans un aménagement du territoire. Il reste à ce qu'elle devienne une grande ville d'accueil, une ouverture sur un continent, elle en a les atouts, être au Nord du continent africain ce que Le Cap est au Sud.
L. M.
Liberté 28 janvier 1997