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samedi 30 mars 2013

Cherchell n'est pas une ville romaine !

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Originaire de Miliana, Mahfoud Ferroukhi a suivi des études d'archéologie en Grèce durant les années 80, il est nommé conservateur du musée de Cherchell. Pendant quatre longues années, il effectue de profondes recherches sur Juba II. Quelque temps plus tard, on lui a confié le poste de directeur de la maison de restauration de La Casbah d'Alger, pour occuper ensuite le poste de sous-directeur de l'archéologie au ministère de la Culture. Il a obtenu son doctorat d'archéologie et d'histoire d'art à l'université de Montpellier avec mention très honorable et félicitations du jury. Dans cet entretien, ce chercheur algérien évoquera avec beaucoup de passion l'histoire de l'Algérie et l'état actuel des sites historiques et du patrimoine en dégradation constante.

L'Authentique : Dernièrement vous avez soutenu une thèse de doctorat en archéologie, peut-on connaître le thème et les résultats de cette étude ?

Dr. Ferroukkli Mahfoud : Le thème de cette recherche qui a duré plusieurs années aborde deux sujets : la sculpture à Cherchell et les sculptures des rois numides. Le premier est la réhabilitation et la reconsidération de la personnalité et l'œuvre de Juba II, notre ancêtre. Le deuxième est la correction de toutes les études déjà établies afin d'apporter une nouvelle vision des portraits en sculptures sur les numismatiques et les monnaies des rois numides de Juba II et de son fils Ptolémée en particulier. Et enfin le troisième constat, c'est que au bout de ma recherche, je suis arrivé à démontrer qu'à Cherchell. à l'époque de Juba II il existait un très grand atelier de sculpture de qualité et de renommée.

Pourquoi cette ville précisément, alors qu 'il existe beaucoup d'autres ruines aussi historiques et magiques.

J'ai choisi Cherchell parce que je suis un spécialiste de sculpture. Cherchell est aussi l'un des plus beaux et riches sites de la Méditerranée. En termes de sculpture et de mosaïque, elle reste unique. J'ai aussi travaillé au conservatoire de Cherchell, ce qui m'a aidé à me rapprocher plus de cette ville qui incarne la fin du royaume numide. Une partie de l'histoire que nous maîtrisons bien, alors que jusqu'à nos jours, nous n'avons rien qui puisse nous informer sur Massinissa et Jugurtha, à part leurs tombeaux et les quelques pièces de monnaie. Cherchell peut tout nous donner sur notre histoire.

Vous évoquez l'état alarmant de la ville de Cherchell ; pouvez-vous nous faire un état des lieux des autres sites historiques ?

L'exemple de Cherchell est édifiant. La même chose se passe ailleurs, sur les autres sites tels Kalaâ de Beni Hammad, Cirta à Ànnaba ... Ils ne sont pas bien préservés. En réalité, je ne peux pas m'avancer car je ne les ai pas visités, surtout ces dernières années, mais je suis convaincu que c'est la même situation que la ville de Cherchell, en matière de destruction et de laisser-aller.

Devant ce constat quelles sont les solutions que vous envisagez ?

La seule solution que je trouve très efficace est que le patrimoine nationale soit géré directement par la présidence de la République. On lève la responsabilité au ministère de la Culture. Il y a une Agence national d'archéologie, mais elle n'est pas du tout autonome. Les décisions reviennent au ministère et cela l'influe énormément, car on ne peut pas avancer. Ainsi, l'unique moyen de progresser est de mettre cette agence entre les mains de la présidence qui lui donnera sûrement un poids important. Il faut aussi continuer à paralyser tous les travaux de construction risque de se faire refuser définitivement l'accès à l'information comme aujourd'hui. Comment concilier les opérations d'aménagement urbain et la protection du patrimoine. Tel est le dilemme auquel sont confrontés l'Etat et les aménageurs au premier rang. Seulement l'archéologie préventive, l'arme pour sauver cette richesse, est la grande absente des préoccupations. L’Algérie doit se doter de cette nouvelle technique de recherche face au danger énorme occasionné par les particuliers et les services publics. Elle consiste à faire des fouilles sondages pendant 15 jours sur un site, avant n'importe quelle construction.

Les chercheurs pourront déterminer si l'endroit est un « site riche » ou un terrain vide. Si c'est un site historique ou autre, au bout de deux mois d'études, ils récolteront toutes les informations le concernant (histoire, monnaie ...). Ainsi, l'endroit ne sera pas « bloqué » et les constructions pourraient redémarrer.



Nous constatons l'absence d'une réelle politique de préservation de notre patrimoine historique ; pourquoi selon vous ?

C'est une politique « de failles ». Ils ont pensé que Tipasa est plus importante que Cherchell, alors que la première ville est romaine et la deuxième est numide, soit algérienne, pour des raisons que j'ignore. Personne ne connaît la valeur de Cherchell. J'ai même tenté de l'inscrire comme patrimoine mondial, mais cela n'a pas été du tout considéré.

Cette politique d'amnésie n'est-elle pas à l'origine du désœuvrement cette jeunesse qui ne sait rien sur ses racines ?

Oui. D'abord, il y a une mauvaise interprétation de l'histoire. Les chercheurs d'avant et après la colonisation n'ont pas donné la véritable interprétation de l'archéologie et de l'histoire. Aussi, on ne voit nulle part ailleurs, dans les écoles, les livres scolaires, la télévision ... cela. On ne parle pas de la civilisation numide, de Juba II et de tant d'autres, alors que cela fait partie de notre patrimoine. Cela doit être diffusé dans les médias, dit dans les livres d'éducation pour aller au plus profond de la question. Cherchell est une ville berbère, numide, elle n'est pas romaine, mais on ignore ça, et cela est alarmant.

Vous étiez, il y a quelques années, le sous-directeur de l'archéologie au ministère de la Culture, qu'aviez-vous fait dans ce cadre-là ?

J'étais sous-directeur de l'archéologie. Avec quelques amis responsables, nous avons créé l'Agence nationale de l'archéologie, et avions tenté de libérer la gestion du patrimoine et ôter cette responsabilité au ministère, mais c'était impossible. Les décisions étaient centralisées. Nous avions essayé, mais au fur et à mesure, nous n'avions fait que reculer. Tout était décidé par le ministère (fouilles, recherches ...)

Lors de votre conférence de presse la semaine passée, vous avez lancé un appel au président, pourquoi ?

Je me permets de lui demander de voir l'état de à notre patrimoine, car il est un homme de culture. Il est le seul qui puisse donner des instructions pour qu'on cesse de détruire Cherchell, l'unique et la dernière capitale numide.

On ne peut effacer cette partie de notre histoire. Je me suis déplacé de France juste pour lancer cet ultime appel. Je ne veux rien, mais juste qu'on sauve Cherchell. Ce sont nos racines. Un arbre sans racines est mort. Des solutions existent

Entretien réalisé par Belkhedim I.
L’Authentique lundi 15 juillet 2002

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