LE TEMPS DE LIRE
« Qu'est-ce que la ville ? »
Un Article de L’Expression paru le Mercredi 20 Juin 2001
par Kaddour M'HAMSADJICette question ne doit pas surprendre. L'ouvrage est, certes, destiné aux étudiants de quatrième année d'architecture de l’École polytechnique d'architecture et d'urbanisme d'Alger (Epau). Mais quel plaisir, et même quel émerveillement, nous procure sa lecture.
En effet, on entre dans ce livre comme on entrerait pour s'y promener dans l'histoire d'un espace urbain qui représente la ville. Qu'est-ce donc que la ville ?
Eh bien, donnons la main à Maouia Saïdouni qui publie à Casbah-Editions, Éléments d'introduction à l'urbanisme (Histoire, méthodologie, réglementation), et suivons l'auteur dans ses approches d'une définition, ou plutôt des définitions, de la ville. Celle-ci est perçue, en quelque sorte, comme un ensemble concret vivant, conditionné « par les multiples facteurs qui agissent » sur elle.
Il y a, évidemment, à distinguer entre « ville et campagne », « cette première définition peut être qualifiée de fonctionnelle, car elle définit la ville par ses fonctions spécifiques. La ville est ce qui se distingue de la campagne. Cette dernière lui fournit les ressources, les hommes et les réserves foncières indispensables à sa survie et à son développement. Toute ville a été, autrefois, campagne, elle en porte les traces dans son tracé et ses lignes parcellaires et jusque dans les origines de ses habitants. » Mais la ville peut être aussi définie par « la concentration des hommes...» (...) la dimension des villes diffère d'un contexte à un autre : la ville algérienne et la ville chinoise, par exemple, n'ont aucune commune mesure. Pour ce qui est de la densité humaine, les modèles urbains des « vieux mondes » (...) et des « nouveaux mondes » (...) présentent des variations considérables. C'est sans doute une évidence, mais à lire ces réflexions, nous nous surprenons à découvrir une réalité devant laquelle pourtant nous passons tous les jours ! De plus, chaque jour, nous constatons de nouvelles constructions dans notre ville à des endroits, hier encore, insoupçonnés d'accueillir tant d'immeubles hauts, très hauts, larges et massifs, et souvent d'une horizontalité effarante ! Et c'est là un vrai problème auquel est confronté l'urbanisme.
Et c'est une question importante que pose pour nous Maouia Saïdouni et tente d'y répondre : « Qu'est-ce que la ville pour l'architecte ? » La réponse est nette, peut-être un peu trop brève, mais elle est caractéristique de l'esprit de l'homme de l'art, qui plus est architecte et formateur : « La ville n'est pas une grande maison ; la ville est un lieu de contraintes pour le projet d'architecture. Le sol, bien rare et non renouvelable, est la condition sine qua non de toute urbanisation. Il est divisé, dans la ville, entre domaine public et domaine privé, entre propriétés et parcelles. Chacune de ces parcelles a des caractéristiques propres, présente des contraintes spécifiques et est convoitée par des particuliers, des spéculateurs et des pouvoirs publics — au nom de l'intérêt général. Pour toutes ces raisons l'architecte doit être conscient que son oeuvre doit être adaptée à une situation foncière, c'est-à-dire répondre aux contraintes urbaines et être en rapport avec la « valeur » delà parcelle. »
Mais de tout cela, la réalité est loin ! Souvent dans nos villes, l'urbanisme est bafoué, — que de constructions illicites sont pourtant debout, narguant de leurs formes monstrueuses, l'oeil épris de beauté et de lignes pures du citadin, celui qui sait et aime la ville, sa cité. Chacun sait ce qu'il est advenu de nos beaux quartiers de nos grandes villes — et de La Casbah d'Alger. A juste raison, Maouia Saïdouni écrit : « Généralement, une ville qu'on ne comprend pas est l'incarnation du désordre et du chaos ; il n'y a qu'à rappeler, à ce propos les réactions premières des Européens face à la ville traditionnelle musulmane, ou encore le sentiment d'impuissance face aux mégalopoles du Tiers-monde. »
Or, il existe bel et bien une composition de la ville. L'auteur écrit : « ... des lois ont traversé des siècles et ont acquis, par conséquent, un caractère universel. » Et il emprunte à Palladio une définition de la place dans une ville : « Un grand espace vide par le moyen duquel on puisse jouir de l'aspect sur quelque superbe édifice. » Donc « jouir de l'aspect ». Tout le problème de l'art de construire, d'aligner les harmonies, de normaliser les utilités, de fixer le rond, le rectiligne, le droit, l'aigu, l'obtus, — bref, le savoir disposer la géométrie dans l'espace par une composition agréable et confortable exige la mise en pratique du principe esthétique pourtant bien ancré dans nos traditions qui respectent le passé tout en ne se refusant ni la modernité ni ce que notre auteur convient d'appeler les « spécificités algériennes ». Voilà donc un ouvrage instructif pour le lecteur curieux du bel art de construire et formateur pour l'étudiant en architecture.
K. M'H.
Éléments d'introduction à l'urbanisme (Histoire, méthodologie, réglementation) par Maouia Saïdouni
Casbah-Editions, Alger, 2000, 271p.