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lundi 18 mars 2013

Tamentfoust


Rusguniaie était son nom. Edifiée par les Puniques, cette cité antique, sur laquelle Byzantins, Romains et turcs se sont ensuite succédé, risque d'être définitivement rayée de la carte archéologique algérienne. Enfouie sous l'actuelle Tamentefoust, à l'est de la capitale, l'un de ses sites, implanté au sud-est de la localité, a été exhumé par les bulldozers. Ses pierres séculaires déterrées ont été jetées pêle-mêle dans la nature. À la place, le béton a coulé ses fondations et des villas cossues ont été érigées. À qui profite le crime ? Hier, lorsque nous nous sommes déplacés sur le site, un lotissement huppé flambant neuf, des maçons s'affairaient autour d'une construction encore en chantier. À quelques pas d'une carcasse nue, les vestiges d'un thermes (un établissement de bain romain) dépérissaient à ciel ouvert.

Envahi par les herbes, il est aussi encerclé par le béton rampant.

Ultime subside de la razzia vandale et de l'érosion du temps, il risque à son tour, aujourd'hui, d'être englouti par la déferlante urbaine.

À son tour, car partout où s'est risqué notre regard, des maisons dressées les unes à côté des autres font offense au passé. Leurs propriétaires ont détruit une civilisation pour y bâtir leur confort.

Certains se sont même arrogé le droit (un autre !) d'utiliser les pierres déterrées pour orner leurs façades. D'autres, préférant sans doute la brique et le béton, n'ont pas trouvé mieux que de les jeter dans un champ limitrophe, propriété de l'Agence nationale d'archéologie et de protection des sites et monuments historiques. Désignée par sa tutelle, le ministère de la Culture et de la Communication, pour avoir l'oeil sur les sites archéologiques, cette agence s'est contentée, à Tamentefoust, hélas, de planter des panneaux d'indication du site. Qui s'en soucie, puisque le patrimoine, classé national, s'est transformé en lotissement ?

L'affaire : 1997. Peu avant les élections municipales d'octobre, le délégué exécutif communal (DEC) désigné pour la gestion des affaires d'El-Marsa (dont dépend la localité de Tamentefoust) procède à la vente de 1,5 hectare du site, qui s'étend sur 9 hectares, à des particuliers. Il s'agit en tout de 40 lots de terrain situés au sud-est de l'antique Rusguniaie, à proximité du thermes romain. Le fait est grave. Car non seulement le DEC a fait fi de la loi, en l'occurrence l'ordonnance de décembre 1967 qui stipule que les sites archéologiques visibles ou enfouis sont propriété de l'État, mais a en plus outrepassé ses prérogatives en s'abstenant de consulter la Commission nationale du patrimoine, seul organisme habilité à se prononcer sur l'utilité public de tel ou tel site historique. Or, dans cette affaire, il ne s'agit point d'utilité publique mais de " jouissance privée ". En effet, comment le DEC qui a, auparavant, instruit la commission de plusieurs projets d'aménagement touristique du site (aménagement d'une place publique et installation d'une maison de fouilles archéologiques construite avec des matériaux préfabriqués) s'est-il retrouvé, du jour au lendemain, à vendre des terrains à des particuliers ? Avant de quitter sa fonction, il n'a pas oublié, par ailleurs, d'octroyer des permis de construction aux heureux propriétaires. Une autre entorse à la loi qui précise, elle, qu'outre les campings et les établissements industriels, les constructions réalisées en sous-sol sont strictement interdites. Et pour cause, nous a-t-on dit, il suffit juste de gratter le sol et de creuser à moins de 50 cm pour tomber sur des ruines. Tragique !

Elu à la tête de l'APC, le nouveau maire RND, au lieu d'arrêter le massacre, laisse faire. À son tour, il distribue çà et là des permis de construire. " Ne saviez-vous donc pas que c'est illégal ? ", l'avons-nous interrogé lorsqu'il nous a reçus au siège de l'APC. " Je ne savais pas au début que c'est un site historique. Lorsque je l'ai appris, j'ai tenté de bloquer la délivrance des permis pendant une année. Mais j'ai fini par céder devant l'insistance des propriétaires. Ils ont tous des actes de propriété. Que pouvais-je faire ? ", nous a-t-il affirmé l'air faussement ou véritablement consterné. Ainsi, mis devant le fait accompli, le maire était-il à ce point ligoté alors qu'une loi suprême (le classement du site patrimoine national, NDLR) a été transgressée ? Dès lors qu'une autre loi stipule, par ailleurs, que la découverte de monuments ou d'objets archéologiques à l'occasion de travaux (de construction) entraîne leur arrêt immédiat. Pourquoi l'élu a-t-il laissé ainsi faire pendant près de trois ans alors qu'il est en droit de tout arrêter ? A-t-il, lui aussi, subi pressions et menaces, à l'instar du nouveau conservateur du site archéologique de Tamentefoust ? Installé au début de l'an 2000 dans cette fonction, M. Magha, nous a révélé qu'il a reçu des visiteurs impromptus lui recommandant de se taire. En vain, depuis sa nomination à ce jour, le conservateur n'a cessé d'interpeller le P/APC au sujet de la profanation du site. Dans sa première interpellation datant du 7 mars 2000, il reproche au maire d'avoir permis à des particuliers de construire des maisons à côté et sur des vestiges archéologiques en dépit des prescriptions de la loi. La loi 04/98 notamment, qui instruit ses services de la nécessité de préserver les sites historiques. Or rien n'y fit. Toutes les missives de notre conservateur comme celles envoyées auparavant par son responsable, le directeur de l'Agence nationale d'archéologie, M Fillah, aux autorités compétentes (wali, ministère de la Culture et de la Communication. ministère de l'Intérieur) restent sans écho. A contrario, au lieu de procéder à l'arrêt des travaux en cours, le maire est plutôt gêné par la clôture érigée en bonne et due forme (permis de construction en main) par les services de l'archéologie autour du site. C'est ainsi qu'il a pris, il y a plus d'une semaine, la décision de le démolir sous prétexte qu'il est trop haut et cache la vue sur le site, ou du moins ce qu'il en reste. Vu qu'à la place de Rusguniaie l'antique, le béton a érige une nouvelle civilisation inhumaine, matérielle et malveillante, qui brade l'histoire à coups de dinars.


La rumeur court à Tamentefoust et l'on dit que l'ancien DEC, qui a vendu ainsi le patrimoine de la nation, s'en est mis plein les poches, que l'ancien conservateur qui a fermé les yeux pendant trois longues années, a, lui aussi, obtenu sa part du gâteau et que les heureux propriétaires sont des intouchables que la loi ne perturbe pas. Pour preuve, outre des villas, ils se sont offerts une route goudronnée par les services de l'APC.

SAMIA LOKMANE
Liberté lundi 21 novembre 2000



Avant sa mort en 1154, le roi chrétien Roger II de Sicile commanda la rédaction d'une géographie du monde à El Idrîsî, savant et prince musulman attaché à sa cour.
" D'El Djazair à Tâmadfûs (aujourd'hui Tamentfoust), en allant vers l'est, dix-huit milles. C'est un beau port auprès d'une petite ville en ruines. La plus grande partie de son enceinte est détruite, la population y est peu nombreuse ; on y voit les restes d'une construction ancienne, de temples et d'idoles en pierre. On dit que c'était autrefois une très grande ville et que son territoire était des plus étendus"

informationautique.blogspot.com

Roger II de Sicile ... est le mécène du grand cartographe Al-Idrisi qui rédige pour lui le Kitâb Rudjâr ou Livre de Roger (achevé en 1153/1154).

fr.wikipedia.org - Roger II de Sicile

Soeur jumelle de l'antique Tipaza et Icosium (Alger), la ville de Tamentfoust (s'écrit aussi Tamenfoust, Tamentafoust ou Tamentefoust), est une ville antique dont les origines remontent à l'ère phénicienne et romaine.
Tamentfoust forme un cap sur la baie d'Alger, sa position à droite de celle-ci lui valut d'ailleurs son nom berbère Tamentfoust signifiant le côté de la droite("tama n t'yefoust") ».

fr.wikipedia.org - Tamentfoust