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dimanche 13 janvier 2013

Entretien avec Abdelhamid Boudaoud, president du CNEA (Collège national des experts architectes)


Je voudrais, avant de répondre à vos questions, faire connaître le CNEA (Collège national des experts architectes) afin de lever toute équivoque quant à son engagement spontané dans le débat qui a suivi le séisme du 21 mai 2003. Créé le 13 juin 1991, le CNEA est membre à part entière du Collège international des experts architectes qui a son siège en Suisse. Association à caractère professionnel, son but est de faciliter et de multiplier les libres contacts entre les experts architectes sans distinction de doctrine architecturale, de servir l'architecture par un effort de documentation et d'information sur la pathologie du bâtiment, de préparer les instruments juridiques pour l'exercice de la profession, les méthodes de travail, un mode de formation, de situer la responsabilité des constructeurs, de contribuer à l'élaboration de la législation relative à la construction, de promouvoir et de favoriser le développement des experts architectes, d'assurer des missions d'arbitrage et, enfin, de prendre en charge la défense des intérêts professionnels et moraux de ses membres.

Je tiens à préciser que dès le lendemain du séisme du 21 mai dernier et afin de prendre en charge l'immense travail J'expertise, le CNEA a lancé un appel pressant à tous les architectes pour prendre attache avec la cellule de crise de la wilaya de Boumerdès.

L'Authentique : Un mois après les terribles secousses du 21 mai, beaucoup de choses ont été dites par les politiques, les experts et autres. La responsabilité est-elle collective, sinon quel est le maillon qui a fait défaut ?

A. Boudaoud : En effet, la responsabilité est collective si on prend en considération l'ensemble de la chaîne du bâti. Mais le maillon faible se situe au niveau des pouvoirs publics qui, par la force de l'oubli n'ont pas joué le rôle qu'il fallait et pour bien m'expliquer, je rappelle le séisme d'El-Asnam, (considéré comme un phénomène majeur, non seulement en Algérie, mais dans tout le Bassin méditerranéen) et tous les travaux qui ont été réalisés et de citer, en outre, la création de la commission technique permanente (décrets 86-212 et 86-213 du 19 août 1986), dont le rôle est d'élaborer pour le compte du gouvernement toute la réglementation technique et parasismique de la construction, l'exercice du contrôle technique de la construction et la promotion du contrôle technique. Comprenant les centres de recherche, les instituts universitaires, les bureaux d'études et organismes spécialisés, les organismes de contrôle et de normalisation, les caisses d'assurance, les laboratoires, etc., la CTP était présidée par le ministre de l'Habitat avec, à ses côtés, les ministères de l'Equipement (travaux publiques et hydrauliques) et celui de l'Aménagement du territoire. Le secrétariat étant assuré par le CGS (Centre national de génie parasismique). La CTP devait se réunir en sessions ordinaires trois fois par an sur convocation du ministre de l'Habitat qui en fixe l'ordre du jour et en session extraordinaire à la demande.


Si je donne toutes ces précisions, c'est pour montrer le travail permanent de cette commission qui a pour mission de veiller à tout ce qui se fait en matière de construction, notamment l'application des normes et de tirer la sonnette d'alarme lorsqu'il y a constat d'anomalies. L'objectif de cette commission était d'arriver à élaborer un code de la construction et de veiller à son application stricte surtout dans la partie nord du pays sujette aux fréquentes secousses sismiques.

Par ailleurs, et en tant qu'expert, je me suis toujours posé la question de savoir où est passé le fameux rapport Aktouf (du nom de l'ex-wali de Chlef) qui a coûté des millions de dollars pour son élaboration et qui a abouti à l'étude de la microzation de Chlef. Je voudrais également évoqué la conférence internationale organisée les 10 et 11 octobre 1984, à Chlef, et dont les actes ont été remis aux ministères de l'Habitat et de l'Intérieur.

Je peux ainsi énumérer sans fin tous les travaux qui ont été faits par les experts et les scientifiques qui n'ont jamais cessé de dire " attention, le nord du littoral algérien est sismique, voilà donc les meilleurs façons d'y faire face ". Autrement dit, l'arsenal juridique et technique existe mais son application laisse à désirer. Et pour revenir à la question, c'est là où se situe le maillon faible.

Dans le cadre du Plan Séisme, le CETE Méditerranée a réalisé des interviews d'acteurs du risque sismique : ici, il s'agit d'Étienne Bertrand, chercheur-sismologue


Vu que vous avez été très sollicité en tant qu'expert architecte et en tant que président du CNEA, êtes-vous convaincu maintenant que les experts et les scientifiques vont être, cette fois-ci, écoutés et que leurs recommandations vont être suivies d'effet ?

Les pouvoirs publics sont, cette fois-ci, obligés d'agir, de prendre en charge d'abord la préoccupation des sinistrés et, en parallèle, de réfléchir à la reconstruction. C'est ainsi qu'un comité pluridisciplinaire vient d'être installé sous la présidence de M. Chérif Rahmani, ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire et qui a commencé à travailler selon une feuille de route qui ambitionne de :

- Récolter l'ensemble de la documentation,
- Préparer des lois-cadres relatives aux risques sismiques et le redéploiement des activités et de l'urbanisation du nord du pays.

L'intérêt de cette feuille de route c'est :

- L'élaboration de la carte sismique du nord de l'Algérie,
- La création du conseil scientifique national de géologie.
- La création de l'Agence nationale de recherche et de gestion des catastrophes.

Les scientifiques auront leur mot à dire.

Que va-t-il se passer en matière de reconstruction ? Va-t-on laisser les politiques agir seuls ou bien ce sont les gens de métier qui se chargeront du programme ?

Je pense qu'il existe maintenant une prise de conscience collective. Les politiques sont dans une situation qui les pousse à négocier avec les experts. C'est à ces derniers qu'incombe le travail de terrain, c'est-à-dire de faire les sondages, de choisir les terrains, de faire les études préliminaires des sols, ... les PER (plan de prévention des risques) et PPI (plan de prévention industrielle) avec la carte sismique, qui seront plus que jamais pris en compte quant au choix des terrains devant servir d'assiette pour tout programme de construction.

Je pense que c'est le moment maintenant de faire prendre conscience à tous et en particulier aux citoyens sur les risques encourus d'une trop forte concentration urbaine. Il s'agit de réfléchir à un équilibre entre ville et campagne et une occupation du territoire plus rationnelle compte tenu de la récurrence des séismes dans l'étroite bande côtière.

Propos recueillis par Mohamed Saf
L'Authentique dimanche 29 juin 2003

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